Le Journal de l'Ain du mercredi 8 octobre 1834

VARIETES

Le curé vainqueur des Cosaques -- Exercice illégal de la médecine !

   Un pauvre curé de campagne était poursuivi devant le tribunal de police correctionnelle pour exercice illégal de la médecine.
   La défense du pasteur était simple et touchante ; il opposait sa vie entière comme contrepoids aux réquisitions du ministère public, et ce tableau offrait à la pensée d'assez tristes réflexions sur l'instabilité des opinions humaines, dans l'appréciation des faits qui honoraient le plus son caractère. Voici les faits de la cause :
    M. Pothiers, curé de Pers, en 1814, s'était mis à la tête de ses paroissiens, et à la suite d'un combat dans lequel il eut un cheval tué sous lui, il était parvenu à resaisir la malle-poste et une diligence qu'un parti de cosaques conduisait au quartier général de l'herman Platow. Ce fait d'arme fit du bruit dans l'armée ; il attira au curé de Pers de grands éloges, et les lettres qu'il reçut alors du ministre de la guerre, du ministre de l'intérieur et du général qui commandait le corps d'armée en station à Nemours, durent lui faire croire qu'il avait bien mérité de la patrie. Son évêque diocésain ne demeura pas en reste de félicitations, et la lettre pastorale qu'il écrivit à ce sujet jetait le reflet d'une pieuse exaltation sur le dévoûment patriotique du curé de Pers.
   Malheureusement ce prélat, nommé par l'empereur au moment de ses démélés avec le pape, n'avait point reçu ses bulles d'intronisation, et la chute du grand homme renversa de son siège l'évêque de l'empire. Son successeur, comme premier acte d'autorité, lança un interdit contre le curé vainqueur des cosaques.
   Le curé de Pers, relevé de son interdit par un bref du pape, avait été appelé à desservir une commune des environs de Sens. C'est là qu'appliquant ses loisirs à l'étude et à la méditations des connaissances les plus utiles, les plus essentielles au soulagement des pauvres, M. le curé Pothiers, dans le zèle d'une philantropie éclairée, avait tourné toutes les ressources de son intelligence vers la pratique usuelle de la médecine élémentaire. Ses efforts, sa constante sollicitude avaient vaincu les préjugés de ses paroissiens contre la vaccine ; il en répandit, il en propagea les bienfaits dans toute la contrée ; il attira encore sur lui la bienveillante attention du gouvernement. Bientôt le ministre de l'intérieur lui fit décerner une médaille à titre d'encouragement ; puis, M. le préfet de l'Yonne, à deux fois différentes, lui adressa des ouvrages de médecine, et accompagna ses envois de complimens les plus flatteurs. Et voilà le pauvre curé qui se multiplie pour donner ses soins, ses secours et son aide aux malades qui réclament son assistance. Il ne pensait pas au décret du 17 ventôse an II, et c'est M. le procureur du roi qui lui a fait savoir qu'on pouvait avoir de très beaux compliments de l'autorité administrative et des démélés de police correctionnelle avec l'autorité judiciaire, quand on s'ingérait de pratiquer la médecine sans diplome.
   M. L'avocat, dans sa défense, a d'abord invoqué le caractère et les devoirs de son client, comme curé de campagne, il a même cité le texte d'un avis du conseil d'état, du 20 décembre 1810, qui autorise les pasteurs ruraux à donner des soins à leurs malades. Puis abordant l'examen et la discussion des faits, le défenseur soutenait que les preuves manquaient à la prévention. Malgré tous ses efforts le tribunal a condamné le curé de Gron à 5 fr. d'amende et aux frais.

Gazette des Tribunaux

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