Rapport fait au major commandant la place de Montargis par l'abbé POTTIER,
desservant à Pers, à l'occasion de son action lors des affrontements avec les cosaques, du 10 au 16 mars 1814.

Source : Journal de l'Empire du 30 mars 1814

Montargis, 22 mars

Rapport à M. le Major, commandant la place de Montargis, par le desservant de la succursale de Pers, canton de Courtenay, sur les évènements arrivés dans sa commune les jeudi 10 et mercredi 16 mars 1814.

10 mars

Averti, le 10 mars, qu'un parti de cosaques, détaché du camp de Saint-Valérien, s'était rendu à Ferrières dans les environs de Fontenay, sur la route de Paris à Lyon, pour intercepter les communications, et s'était emparé de la malle et de la diligence au moment où elles s'étaient croisées, je pris la résolution de réunir huit à dix habitants de ma commune, et de me mettre à leur tête.

Je montai à cheval, ils étaient tous, ainsi que moi, bien armés de fusils doubles, et nous fûmes au devant de l'ennemi, que nous rencontrâmes, à dix heures du matin, sur le chemin de Ferrières au Bignon, entre le hameau des Rondiers et celui d'Urson.

Nous n'avions à combattre que cinq hommes, deux en avant, trois en arrière, conduisant au camp la prise qu'ils avaient faite.

Je mis le sabre à la main, et, soutenu par les hommes qui m'accompagnaient, je fondis sur les brigands.

Au premier coup de fusil, l'un des deux cosaques de l'avant-garde prit précipitamment la fuite, et le second fut grièvement blessé d'un coup de feu à l'épaule. Les trois autres, épouvantés de la vigueur de l'attaque, s'enfuirent également, et nous abandonnèrent les deux voitures, les chevaux, les postillons, les voyageurs et les dépêches encore intactes.

Dans la crainte où j'étais, d'être surpris ou atteint par un plus grand nombre, je fis conduire la prise par quatre de mes concitoyens, dans le bois de Forville, voisin du poste où nous étions placés.

Au même instant, je fus averti, et j'aperçu une portion du même détachement restée en arrière, et amenant, dans la même direction, une voiture chargée de marchandises, également arrêtée sur la route de Fontenay. Secondé par quatre de mes habitans, nous tirâmes sur l'escorte ; elle prit la fuite, et nous lui enlevâmes les chevaux, la voiture et les marchandises. Le tout fut, de suite, conduit au village, où les chevaux, harassés de fatigue et de mauvais traitements, furent obligés de séjourner pour prendre du repos.

Un quart d'heure après notre arrivée, tous les brigands s'étant ralliés, arrivent et demandent qu'on leur rende les voitures, menaçant les habitans du pillage et de l'incendie ;.la porte du domicile du particulier devant lequel était celle du marchand, fut enfoncée ; ils lui prirent la couverture de son lit et plusieurs autres effets, et mirent le feu sous cette voiture : ce qui a fait éprouver au propriétaire une perte d'environ six mille francs.

Néanmoins l'ennemi, convaincu que les habitans qui m'avaient si courageusement secondé ne seraient pas moins braves en défendant leurs foyers qu'en rase campagne, a promptement évacué la commune, n'emmenant avec lui de son expédition, que mon cheval, parce que, lors de la première rencontre, ayant mis pied à terre pour en tirant, être plus sûr de mes coups, il s'est effrayé, a pris la fuite, et été se joindre à ceux des cosaques.

Le résultat de cette journée est,

   - 1e. Quatorze chevaux arrachés à l'ennemi, appartenant, savoir : quatre conduisant la malle, au sieur Legros, maître de poste au Puy-la-Laude ; huit, conduisant en accompagnant la diligence, au sieur Filledier, aubergiste à Montargis, et deux au marchand de toiles (le sieur Pasquier, domicilié de la même ville) ;

   - 2e la reprise des voitures et des dépêches.

Dès que j'ai été débarrassé de la présence des cosaques, j'ai expédié un exprès à Montargis, d'où l'on a envoyé cherché la malle, la diligence et les voyageurs, dont le retour a été protégé par une escorte de 100 hommes de la garnison de cette ville.

16 mars

La veille (15 mars), la commune avait été frappée par l'ennemi d'une réquisition de 2 vaches, 800 décalitres d'avoine, 300 kilogrammes de pain, et 600 bottes de foin. Le tout était livré et allait être conduit, dans la matinée du 16, au camp de Saint-Valérien : mais je m'y opposai, en menaçant les habitants de m'emparer du convoi, et de le faire conduire aux troupes françaises de la garnison de Montargis… J'eus la satisfaction d'être obéi, de voir rentrer les voitures chez les particuliers, et d'avoir ravi à l'ennemi cette seconde conquête, dont la valeur ne peut pas être fixée à moins de 800 fr.

Pour mieux observer sa marche et ses mouvements, je me rendis, vers les 10 heures, au village du Bignon, où je vis passer 50 cosaques, se rendant du camp de Chéroy à Fontenay, par la route qu'avaient tenue ceux du 10.

Présumant qu'ils reviendraient le soir au camp par le même chemin, je courus chez moi, j'assemblai et j'organisai ma compagnie. Encouragés par le premier succès, et toujours armés de bons fusils doubles, nous nous rendîmes, sur les cinq heures, dans la vallée entre Chevannes et Pers. Je plaçai à deux cents pas de nous, au bout d'un bois appelé la Boulinière, un avant-poste auquel je recommandai de ne faire feu que sur la seconde personne du détachement ennemi, dans la crainte que la première ne fut un guide pris dans le pays. Quand à moi, je pris, avec le surplus de mes hommes, position dans un lieu élevé appelé le Miroir. Nous attendîmes dans le silence jusqu'à huit heures du soir. L'obscurité ne permettait de distinguer aucun objet ; et l'ennemi marchant au petit pas sur un terrain doux, on entendait à peine, près de soi, ses mouvements. Enfin, le poste que j'avais placé au bout du bois, laissa approcher à six pas de lui l'avant-garde, tira trois coups, et la força de se replier sur le détachement, qui se forma en peloton, et se rangea sur-le-champ en bataille. Alors nous nous réunîmes, et nous fîmes une fusillade si bien soutenue, que nous pûmes, à la lueur des amorces, distinguer le nombre d'hommes que nous avions à combattre, et en même temps apercevoir que tous avaient sur le devant de leurs selles de gros paquets blancs, sans que nous pussions soupçonner ce qu'ils renfermaient.

N'étant qu'à quinze pas de l'ennemi, tous nos coups ont porté, l'ont dispersé, et l'ont forcé, pour fuir avec plus de vitesse, d'abandonner ses paquets ; ce qu'il a fait d'autant plus aisément, qu'ils n'étaient pas attachés. Le hasard m'en fit rencontrer un dans l'obscurité, que je ramassai ; je jugeai, au tact, et j'éprouvai la satisfaction de sentir qu'il renfermait une quantité considérable de dépêches, notamment celles destinées pour le gouvernement, venant de Lyon et de Marseille, ainsi que me l'apprirent, chez moi, les adresses que je pus lire ; la première enveloppe s'étant trouvée déchirée en plusieurs endroits.

Alors je jugeai, et le postillon dont l'ennemi s'était emparé, me confirma que la malle de Lyon à Paris venait d'être saisie une seconde fois par ces brigands sur la grand route, entre la poste de Puy-la-Laude et celle de Fontenay ; et que, pour s'éviter l'embarras de la conduire au camp par des chemins difficiles où elle pourrait encore leur être ravie comme le fut celle qu'ils avaient enlevée le 10, ils l'avaient pillée et laissée sur la route, attelée d'un seul cheval, emmenant avec eux les trois ou quatre autres et le courrier.

Dans l'impossibilité où nous étions, à cause de l'obscurité, d'aller à la recherche et de ramasser les autres paquets, je laissais sur le lieu une garde de nuit de six hommes, et me rendit chez moi avec les onze autres et le postillon, qui me témoigna de vives inquiétudes sur le sort du courrier, qui ne nous avait pas suivi.

Le lendemain 17, à la pointe du jour, nous revînmes sur le terrain, et nous trouvâmes morts, sur la place, un cosaque, et à quinze pas de lui, derrière une haie, le malheureux courrier, Richeux, immolé par ces barbares dans leur fureur, au moment où ils virent que leur proie leur échappait. Le postillon aurait éprouvé le même sort s'il n'eut la précaution de se jeter à terre.

En parcourant les environs, nous avons ramassé et recueilli le surplus des paquets, et nous avons trouvé morts onze autres cosaques, savoir : neuf dans les bois de Chevannes, Pers et Rozoi, où, après avoir été blessés, ils s'étaient retirés, et deux au Bignon ; six autres, en arrivant au camp de Saint-Valérien, ont eu la même destinée : ainsi, cette expédition a coûté dix sept hommes à l'ennemi.

Le même jour, à dix heures du matin, à l'instant où je venais de rendre au courrier les derniers devoirs de mon ministère, le village de Pers fut investi par un nouveau détachement de 150 cosaques, qui, pour se venger de l'échec de la veille et de la capture du 10, se livrèrent jusqu'à quatre du soir eu pillage, volant et brisant tout ce qui leur tombait sous la main.

Enfin, pour combler la mesure de leurs brigandages, ils se saisirent de quinze habitans de la commune, et les emmenèrent, la corde au cou, au camp de Saint-Valérien, où ils furent questionnés, garrotés et menacés d'être fusillés, s'ils ne désignaient pas le chef et les coopérateurs de l'expédition. Ils s'en sont tirés et ont obtenu leur liberté, en protestant que c'étaient des troupes de ligne envoyées de la garnison de Montargis.

Quand aux paquets, je les ai tous remis, le 18, au sieur Fereau, directeur de la poste aux lettres d'Egreville, qui, informé par moi de l'évènement, est venu, accompagné de M. Bernier, maire, les chercher avec une voiture.

A l'égard des trois chevaux détachés de la malle, ils ont échappés aux cosaques, et se sont enfuis ; il en a cependant été retrouvé un hier.

Il n'est pas inutile d'observer à M. le Major,

- 1e Que l'église de ma commune n'a pas été plus épargnée que les habitans. J'en avais heureusement enlevé, avant l'arrivée de l'ennemi, les vases sacrés ; mais, après avoir démoli les fonts baptismaux, ils m'ont volé et emporté deux chasubles en soie qui m'appartenaient, et qu'ils croyaient ornées de gallons en or. Je n'ai dû la conservation de mes effets les plus précieux qu'à la précaution que j'ai prise de les cacher, et j'aurais été immolé à la fureur de ces barbares si je ne m'étais déguisé et sauvé ; car je n'avais, en raison de la supériorité du nombre, aucun moyen de leur résister.

- 2e Que j'avais eu, dans la matinée, la précaution de cacher les paquets de la malle sous de la paille dans une grange. S'ils s'en fussent douté, ils les auraient indubitablement repris, et peut-être auraient-il incendié la grange et le village ; mais j'ai auguré de leur silence à ce sujet que, parmi eux, il n'y en avait peut-être pas un seul de ceux de la veille ; ce qui me porte à croire que le nombre des morts excède dix sept, et que les autres ont reçu des blessures graves. Ceux-ci, dispersés dans l'obscurité, ont dû nécessairement s'égarer, car ils ne pouvaient apercevoir aucun signe de reconnaissance ; alors plusieurs ont dû succomber dans les bois, vers Bazoches, où on a, dans la journée du 17, ramassé plusieurs lettres éparses provenant des paquets enlevés de la malle. Ce qui confirme la gravité des blessures de ceux qui ont pu retrouver le chemin du Bignon, est le sang dont il était couvert sans interruption, depuis le lieu de l'attaque jusqu'à Saint-Valérien.

Recevez M. le Major, l'assurance de la respectueuse considération de votre obéissant serviteur.

Pers le 19 mars 1814

POTTIER, desservant de Pers

Pour copie conforme entre mes mains :
Le Major, commandant la place de Montargis
Officier de la Légion d'Honneur, LEGROS