EPISODE
DE LA CAMPAGNE DE FRANCE (1814)
"Journal
de Paris" n° 65 - dimanche 6 mars 1814
Extrait
d'un rapport de M. Constant de MORAS, auditeur au Conseil d'Etat, à
son Exc. le Ministre de l'Intérieur.
Montargis
le 1er mars 1814
La veuve Habert,
propriétaire d'une maison sise au milieu du terrain que les Russes
avaient choisi pour leur quartier général et dans laquelle
ont logé le général russe Seslaven et tout
son état-major depuis le 12 jusqu'au 20 février, ne cessait
de lui adresser des plaintes continuelles sur les dévastations
commises sur son mobilier, linge, etc., sous les yeux du général
en chef, et sans avoir jamais pu obtenir de lui la moindre réparation,
malgré tous les sacrifices qu'elle faisait pour tâcher
de satisfaire le général et sa suite.
Les Cosaques, à
toute heure de la nuit, se portaient comme des furieux dans les maisons
des faubourg de l'Oing (sic) et de la Conception, forçaient les
portes et enlevaient tous les effets les plus précieux aux malheureux
habitants, brisaient les meubles et exerçaient sur les hommes,
les femmes et les enfants, les plus horribles traitements.
Par un ordre du
général Seslaven, la ville a été
frappée de réquisitions de toute espèce, et excédant
de beaucoup ses moyens ; elle a fait tous ses efforts pour y satisfaire.
Le général avait donné sa parole d'honneur qu'en
cas où d'autres colonnes ennemies prendraient la même direction,
la ville de Montargis ne serait plus inquiétée. Lors de
la retraite de ce corps de barbares, ces mêmes hommes violèrent
leur parole, et les officiers, sous les yeux de leur chef, se portèrent
dans les magasins, enlevèrent aux marchands tout ce qui leur
restait, et consommèrent la ruine des malheureus habitants d'une
ville ouverte, prise sans défense, et que les lois de la guerre
ordonnaient de respecter.
Un officier supérieur
se présente au magasin de fourrages, aperçoit un habitant
de la ville requis pour conduire des fourrages au camp, et se plaignant
de la lenteur de cet habitant à charger cette voiture, le frappe
comme un furieux : la peur saisit ce malheureux, il s'échappe
; l'officier en fureur se rend à la mairie et ordonne au maire
de retrouver à la minute sa malheureuse victime, jurant que,
dans le cas contraire, le maire sera conduit en personne, la corde au
cou, à la suite de l'armée, pour servir d'otage.
Dans toutes les
communes rurales, les traitements les plus barbares ont été
exercés sur les malheureux habitants réduits au désespoir,
ce qui est constaté par les nombreux procés-verbaux que
j'ai l'honneur d'adresser à V. Exc.
Des propos révoltants
ont été tenus par les Russes pendant leur séjour
à Montargis ; ils se vantaient de se rendre à Paris pour
y enlever ce qu'il y avait de plus précieux et brûler la
ville ; ils disaient hautement vouloir enlever les femmes et les filles
pour peupler leur pays.
Les officiers russes,
au moment de leur retraite, s'emportèrent en invectives contre
les Autrichiens et les Prussiens, disant que ces peuples étaient
lâches, et qu'il n'y avait que les Russes de braves.
Trois cent quatre
vingt seize dépositions des principaux habitants des communes
rurales du canton de Courtenay, attestent toutes les horreurs qui y
ont été commises.
Le général
en chef Platow est entré dans cette ville à la
tête de 6 à 7 000 cosaques dans la journée du 7
février, précédé quelques jours avant, par
différents partis peu nombreux. Des demandes exorbitantes ont
été faites dans tous les genres ; plusieurs maisons, entre
autres toutes les boutiques, ont été pillées. Le
maire, ayant voulu faire quelques observations, a été
frappé, en danger même d'être tué ; aucune
réclamation des magistrats n'a été entendue par
du général Platow.
Dans la commune
de Pers, la femme du maire, enceinte, a reçu, a reçu les
derniers outrages par les cosaques qui l'ont laissée pour morte.
A Thévailles
(Thorailles ?), treize habitants, après avoir été
entièrement dépouillés, ont reçu des coups
de lances. Un enfant de dix ans a été maltraité
au point qu'on désespère de sa vie.
Dans le canton de
Courtenay, les Russes ont tenu les mêmes propos qu'à Montargis,
déclarant hautement vouloir piller Paris et le brûler.
Lors de leur retraite,
les cosaques réunirent sur la place de Courtenay tous les effets
qu'ils avaient pillés, et qui ne pouvaient leur être d'aucune
utilité : pour faire leurs adieux aux malheureux habitants, ils
y mirent le feu en manifestant la joie la plus féroce.
Cent cinquante quatre
dépositions des principaux habitants des cantons de Bellegarde,
et pareil nombre des militaires de Ferrières, attestent que les
mêmes excès y ont été commis qu'à
Courtenay.
Le maire de la commune
de Fontenay, vieillard respectable par ses vertus publiques et privées,
a été indignement traité et sa maison a été
entièrement pillée. Celui de la commune de Nargis a éprouvé
le même sort ; ses meubles ont été brisés
à coups de hache ; la fuite seule a pu le soustraire à
une mort certaine.